Pourquoi écrire ce texte ?
Tout comme le sujet de l’autonomie, la notion de confort au Mallouestan a rapidement été importante, voire prioritaire, à expliciter. Avant de développer, il nous faut cadrer ce que signifie le confort. Une brève définition du dictionnaire nous permettra de partir d’une même base: “Le confort représente l’ensemble des commodités, des agréments qui produit le bien-être matériel”. Aujourd’hui, la société a normalisé un certain niveau de confort que nous ne souhaitons pas au Mallouestan et ce, pour plusieurs raisons que nous expliciterons dans ce texte.
Le Mallouestan est à la fois un sanctuaire et un écolieu. Cette dernière étiquette lui vaut souvent un image romantisée et idéalisée de la part de certain.es nouvelles.eaux visiteuses.eurs. Ainsi, malgré nos tentatives de prévenir les visiteuses.eurs de la réalité atypique du Mallouestan, l’ambiguïté autour du sujet du confort persiste. Nous avons donc fait face, et faisons encore face, à des personnes très déstabilisées par notre quotidien et nos conditions matérielles. Parfois même, cela va au-delà et donne lieu à un mal-être, voire une rancœur à notre égard. Nous souhaitons donc articuler le texte qui suit en vue de minimiser le plus possible l’ambiguïté qui plane autour de notre “déconstruction du confort” et donner le plus d’éléments possibles aux futur.es visiteuses.eurs. Nous souhaitons les prévenir que leurs habitudes seront chamboulées et que notre mode de vie implique un certain effort et organisation collectives.
Pourquoi questionner le confort ?
Notre déconstruction de la notion de confort s’est faite, et se fait encore, en passant par de multiples étapes. Celles-ci ont été conduites par des réflexions collectives autour des problèmes induits par le confort normalisé. Celui-ci est un produit du capitalisme qui crée une dépendance chez les individus qui voient leurs besoins se multiplier sans en trouver de fin. Nous nous retrouvons donc aliéné.es de nos réels besoins sans véritables outils pour les identifier ou les comprendre. Cela est aggravé par le fait que dans notre société, tout, c’est-à-dire, la consommation, les informations que nous recevons, nos actions, nos décisions, nos envies, doivent s’exécuter rapidement pour satisfaire le plus de besoins possible en peu de temps; l’instantanéité et l’accessibilité étant alors des vecteurs de confort. Cette quête de satisfaction et de bien-être perpétuelle puise au cœur de la logique addictive, consumériste et libérale de la société; où toute envie peut être répondue et légitime, où l’individualisme s’enracine toujours plus au prétexte de l’épanouissement personnel.1
Cet épanouissement, permis par le confort matériel, se limite pourtant à la surface en nous coupant d’expériences riches et complexes. En effet, notre quotidien et notre environnement sont aujourd’hui appauvris sensoriellement, cognitivement, esthétiquement et physiquement. Par exemple, la prépondérance de la vue, l’appauvrissement et l’artificialisation de notre environnement sonore, olfactif et tactile, la dépossession de nos corps ultra sédentaires, l’épuisement analytique et émotionnel, le techno solutionnisme encourageant la paresse (répugnance à l’effort, au travail, goût pour l’inaction).
Cette course effrénée au confort matériel masque donc des maux bien plus fondamentaux, un inconfort profond mis en sourdine. Pourtant, le système capitalise sur ces maux en marchandisant des espaces comblant ces manques, souvent superficiellement (salle de sport, spas, parcs/zoo, streaming, fast-food, jeux vidéos et d’argent, etc)2
Au-delà de détourner notre attention de nos véritables inconforts, la recherche de ce confort matériel présente d’autres enjeux non négligeables selon nous. En effet, de nombreuses externalités négatives en découlent car bon nombre des éléments qui constituent ce confort normalisé nécessitent un impact extrêmement néfaste sur l’environnement et le vivant : l’extractivisme, la pollution, la déforestation, l’exploitation, la maltraitance, etc. Par ailleurs, ce rapport utilitariste à l’environnement et au vivant crée et exacerbe les inégalités sociales. Des mécanismes néo coloniaux, des mécanismes d’exploitation de populations, de vol par privatisation de ressources, d’économie de guerre et de stratification sociale sont tant d’engrenages alimentant notre confort moderne. Pour nous, ces répercussions sont injustifiables et doivent donc être questionnées.
De quel confort parle-t-on au Mallouestan ?
Si nous considérons le confort moderne ostentatoire, superficiel et destructeur, nous ne souhaitons pas pour autant abandonner la notion de confort. Il est donc, pour nous, indispensable de le redéfinir.
D’abord, il nous semble important de clarifier que nous ne souhaitons pas un ascétisme (austérité) dans notre quotidien. Cependant, nous ne voulons pas d’un confort permis aux dépens d’autres. Nous pensons que le confort peut s’étendre, et doit s’étendre à un épanouissement global, psychique, physique, ludique et collectif en plus de la sphère matérielle. Nous n’excluons donc pas les besoins dits “non-vitaux”, nous voulons les considérer et y répondre de la façon la plus autonome possible collectivement, afin de respecter notre stratégie et notre éthique. Ce confort redéfini aux multiples facettes est, pour nous, porteur de beaucoup plus d’épanouissement que le confort normalisé par le système.
Enfin, il est important de comprendre que nous ne considérons pas que le confort soit un droit. Ainsi, dès lors que certains mécanismes contribuant au confort impliquent des impacts négatifs, nous ne voyons aucune bonne raison de les alimenter. Pour cette raison, nous pensons que le confort doit s’inscrire dans le cadre que nous avons établi collectivement. Au Mallouestan, nous cherchons donc un confort comblant nos divers besoins sans pour autant compromettre notre recherche de cohérence.
Comment mettre en place cette nouvelle conception du confort ?
Pour mettre en place une conception du confort qui suit notre éthique, il est important de dissocier les deux notions que sont : le besoin et la stratégie prise pour y répondre. En effet, nous ne cherchons pas à remettre en cause les besoins en tant que tels. Comme énoncé plus tôt, nous souhaitons évoluer vers un épanouissement global qui va au-delà de la satisfaction des besoins vitaux. Cependant, nous estimons que toutes les stratégies utilisées pour répondre à nos besoins ne sont pas automatiquement valides ou justifiables. Par exemple, si la stratégie pour répondre à un besoin implique un impact écologique insoutenable. Ainsi, besoin et stratégie sont deux points bien distincts dans notre approche du confort. Une fois cette distinction établie, il devient alors plus facile d’écarter certaines stratégies et d’explorer de nouvelles perspectives afin de répondre au besoin adressé.
Ces nouvelles perspectives peuvent émerger au travers de nouvelles pratiques, techniques, outils, etc. qui s’intègrent dans le cadre du Mallouestan. Par exemple, pour répondre à un besoin de développer sa créativité nous privilégierons de se lancer dans la confection de peintures naturelles avec les ressources locales plutôt que de commander de la peinture sur internet ou d’aller acheter en voiture en grande surface.
Pour nous, l’enjeu est davantage d’investiguer nos différents besoins que d’en réduire le nombre. Ainsi, nous pensons qu’en explorant nos besoins et en questionnant les stratégies qui les entourent nous tendrons vers une plus grande cohérence ainsi qu’une plus grande diversité de réponses à nos besoins.
Actuellement sur le lieu
Notre cadre éthique et stratégique régit la façon dont nous appréhendons le confort et nos besoins. Ce cadre s’inscrit dans une quête d’autonomie, une prise en compte du vivant et des écosystèmes ainsi qu’une recherche de résilience. Voici quelques exemples de ce que l’on a déjà mis en place au Mallouestan :
- Nous sommes déconnecté.es du réseau électrique et disposons désormais de deux panneaux solaires communs qui suffisent pour nous éclairer et charger nos téléphones hors de la maison commune. Les plus gros appareils (ordinateurs, batteries externes, etc.) peuvent être chargés mais à une plus faible fréquence et avec accord du groupe. A ce jour, nous rechargeons nos téléphones au maximum un jour sur deux le matin. Ce fonctionnement va de pair avec notre souhait de minimiser notre temps passé sur les écrans.
- Nous nous chauffons au bois. Un seul feu est fait dans la journée (sauf exception). De fait, nous sommes habitué.es à ce qu’il fasse entre 15 et 18 degrés à l’intérieur l’hiver. Nous adaptons nos vêtements et nos pratiques en conséquence et ne souffrons pas du froid (notamment en bougeant bien pour ne pas trop se refroidir).
- Nous cuisinons au bois une fois dans la journée ce qui implique que nous mangeons froid le midi.
- Nous n’avons pas de ballon d’eau chaude alors nous chauffons l’eau sur le feu pour prendre une douche chaude si souhaitée.
Au delà du matériel, nous essayons de mettre en place des habitudes telles que :
- Maintenir une activité physique régulière et variée (course à pied, étirements, cardio, renforcement musculaire, vélo, escalade, danse etc.) afin d’entretenir notre santé.
- Nous cherchons aussi à développer une vigilance collective sur l’écoute physique, psychique et sociale. Pour cela, nous dialoguons souvent, que ce soit en interpersonnel ou en groupe, nous tenons des tours de ressentis où chacun.e peut exprimer ce qu’iel souhaite.
- Nous avons constitué une bibliothèque et une ludothèque afin de faciliter l’accès au divertissement, au ludique et à l’instruction.
- Nous organisons régulièrement des événements afin d’initier des échanges culturels et artistiques sur le lieu ainsi qu’à l’extérieur.
Pour conclure, nous avons mis en place des stratégies collectives en tentant d’être le plus possible à l’écoute de nos besoins et en cohérence avec notre cadre. Les exemples cités plus haut illustrent brièvement comment cette conception se concrétise sur le lieu mais sont loin d’être exhaustifs.
Notes
- Pourtant certains choix sont limités par des injonctions issues de normes, moeurs et modes. Le chômage n’est pas consideré comme un choix valable par la societé, après tout, il faut être un “citoyen productif ou actif”. Le fait d’avoir des enfants ou ne pas en avoir, en fonction des milieux, peut être reproché ou dissuadé.
- Nous avons conscience qu’en fonction de la classe sociale, ainsi que d’autres facteurs sociaux, cette marchandisation prend diverses formes. Les bourgeois ne vont pas consommer ou se divertir de la même façon que les classes populaires. Néanmoins, cette marchandisation a lieu, parfois c’est sur le terrain politique où les promesses d’accès, de création d’espace ou de pouvoir d’achat sont “vendues”.