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Pourquoi l'autonomie

L’autonomie

Pourquoi écrire ce texte ?

En accueillant de nombreux-ses visiteuse-eurs sur le lieu nous nous sommes souvent questionné-es sur notre rapport à l’autonomie. Nous avons remarqué que notre position n’est ni simple à expliquer ni facile à comprendre notamment quand elle se cantonne à une rapide présentation lors des visites du lieu. Il nous semble également que le partage des visions respectives des membres du projet, similaires certes mais jamais identiques, ne facilitent pas la compréhension de notre/nos points de vue communs. Cela nous a été aussi partagé par plusieurs des visiteuse-eurs, confirmé lors de demandes d’explications supplémentaires ou quand des visiteuse-eurs, même régulier-es, caractérisent notre projet d’autonomie d’une façon que nous ne reconnaissons pas. Il nous a donc semblé essentiel de structurer nos idées, d’expliciter aussi clairement que nous pouvons l’importance que nous accordons à cet aspect du lieu. L’autonomie est pour nous intimement politique et étaye de nombreux autres aspects du lieu.

Nous commencerons, donc, dans ce texte par définir ce que nous entendons par l’autonomie, notamment vis à vis de quoi nous cherchons à être autonome, nous permettant ensuite d’expliquer les raisons qui nous motive. Après ces deux points nous expliquerons par quels moyens nous envisageons de tendre vers l’autonomie et pour conclure sur comment, actuellement sur le lieu, ce début d’autonomie se manifeste.

Quelle autonomie ?

L’autonomie que nous cherchons est tout d’abord une rupture avec la culture dominante et les mécanismes qu’elle soutient qui bien souvent, intriquées comme elles le sont, permettent a cette même culture de perdurer. Nous ne cherchons pas seulement à fuir les fonctionnements structurels, permettant toute sorte d’oppression et d’inégalité systémique comme le sexisme, le racisme, le spécisme pour en nommer quelques exemples. Nous cherchons également une émancipation vis à vis de notre civilisation thermo-industrielle, extractiviste, du capitalisme et d’un mondialisme néo-colonial. C’est une autonomie de rupture et d’opposition mais non une autonomie totale. L’autonomie totale n’est pour nous ni pertinente ni possible. Cette autonomie passe, notamment, par une indépendance technique pour répondre à nos besoins (maraîchage, construction, soins …) mais également par une autonomie intellectuelle, artistique et culturelle.

Nous cherchons donc à nous abstraire du libéralisme économique mais également philosophique et culturel (un texte similaire a été écrit sur notre rejet du libéralisme). Au contraire du libéralisme, centré autour des intérêts individuels, nous cherchons une autonomie collective et inclusive qui saura être résiliente face aux crises et défis se proliférant à l’horizon. Nous cherchons aussi a être autonomes dans l’aide apportée à autrui et ainsi soutenir d’autres collectifs, groupes ou personnes. Notre autonomie n’a pas pour vocation d’être autarcique ou centrée sur notre lieu mais une source d’émancipation, limitée par nos capacités, profitant à tous-tes celles et ceux à qui cela pourrait bénéficier.

Pour quelles raisons cherchons-nous l’autonomie ?

Commençons par définir ce qui ne fait pas partie de nos motivations à devenir autonomes, en espérant éliminer le plus possible d’ambiguïtés potentielles, pour la suite. Pour commencer, notre recherche n’inclue pas un désir de puritanisme moral, où l’autonomie nous permettrait de se sentir intègre en ne contribuant pas ou peu aux problèmes qui nous entourent. Nous valorisons certes une cohérence sur le lieu mais c’est une cohérence collective et qui n’a pas comme prétention une position morale supérieure, propre ou pure; utilisée comme référentiel pour juger d’autres individus. Nous ne sommes pas non plus dans un romantisme du passé où nombreux problèmes cités plus haut étaient tout aussi présents. Nous utilisons certes, sur le lieu, des techniques parfois anciennes pour accomplir des objectifs, mais nous les choisissons pour leur efficacité et les mêlons aux connaissances et techniques modernes quand nous le jugeons pertinent.

Notre première raison de rechercher cette autonomie est de sortir de cette culture dominante qui est une machine forçant la compromission quels que soient nos intentions1. Une culture qui est autant sur le plan ontologique [comment on définit ce qui existe] que sur le plan axiologique [ce qu’on définit comme étant souhaitable ou non] toxique et délétère pour toute personne qui y est soumise2,3,4. Nous sommes convaincus que ce modèle a besoin des inégalités actuelles, de la destruction du vivant, des oppressions systémiques et d’un néocolonialisme répugnant; que ces éléments sont inhérents au mode de vie hégémonique [très majoritaire / dominant]. Ce que nous trouvons encore plus incongru est que ces moyens servent une fin qui est tout aussi problématique. Nous vivons effectivement dans une société avec un mal-être grandissant5. Notre première raison peut donc être résumé à la recherche d’un paradigme [façon de faire, de voir] assaini.

Nous sommes convaincu-es également que cette civilisation est lancée sur un chemin miné d’autant de crises et de conflits que dans son passé. Notre recherche d’autonomie est aussi une recherche de résilience face à ce qui peut nous attendre. Une résilience collective et non individuelle. Une résilience qui pourra, on espère, soutenir celles et ceux qui en ont ou en auront besoin. C’est une recherche de solidarité en puissance, nous y reviendrons, et non la survie des quelques membres composant le projet.

Notre autonomie ne se veut pas que solidaire logistiquement mais ancre la solidarité au coeur du projet. Il nous semble essentiel de nous affranchir des oeillères nous déconnectant de tant de réalités sociales, environnementales et temporelles. L’autonomie est un moyen de revivre aux cotés des oppressés, d’apprendre a tisser des liens et de construire des rapports moins égocentrés et mortifère. La nature sauvage6 est une de ces réalités. Une réalité à laquelle le vocabulaire, les connaissances et la place nous manquent. Nombreux sont celles et ceux qui en parlent dans le milieu de l’écologie sans la connaître, la comprendre ou la concevoir restant dans une vision systémique et insuffisante. Notre autonomie est donc aussi la recherche d’une authenticité et de rapports plus honnêtes avec ses différentes réalités obfusqué [chiffré, mélanger, rendus mois lisible] par la culture dominante où la nature sauvage n’est qu’un exemple.

La barrière, entre nous et la réalité, contribue a un autre problème auquel nous esperons nous abstraire via l’autonomie. L’individualisme noyé dans la masse broyé par la culture dominante nous réduit considérablement et limite fortement notre capacité à agir sur nos conditions matérielles [ce qui nous définit, nous structure]. Nous voulons sur le lieu nous réapproprier une capacité accrue, un certain pouvoir, sur nos conditions matérielles. Autrement dit une certaine capacité d’autodétermination collective.

Notre autonomie est aussi une recherche d’indépendance stratégique face à ce qui nous lie encore à nos ennemis. Plus nous pouvons répondre a nos besoins moins nos ennemis, qui sont les seuls actuellement en mesure d’y répondre, aurons un pouvoir sur nous. Ce fossé que nous cherchons a creuser dans le contexte de lutte sociales et politique actuel nous semble indispensable.7 Il nous permet de s’abstraire de ce système pour mieux le combattre et en cas d’échec, éventualité non négligeable mais négligée globalement, de mieux surmonter les défis qui se poserons.

Comment et par quels moyens ?

La première chose a implémenter [mettre en place en respectant un cadre] est une scission réelle avec la culture dominante. Il faut trouver des articulations alternatives aux analyses des problèmes sociaux, environnementaux et spirituels populaires car ces analyses sont de façon hégémonique [très majoritairement] ancrées dans un logiciel libéral. Cette scission ne peut qu’être portée par une culture de la critique et surtout de l’autocritique forte. L’articulation n’est que la première étape de l’appropriation d’une nouvelle culture qui se développe par la cohérence de nos actions avec ce nouveau logiciel.

Le Mallouestan adhère à une cosmologie matérialiste et se positionne contre les mouvements spirituels esotériques notamment modernes.

Une des notions défendue au Mallouestan pour devenir autonome est la redéfinition de la notion de travail. Effectivement dans un système capitaliste, criblé de vices, une abstraction entre la production ainsi que les moyens de productions (usines, outils, techniques) est entretenue. On travaille pour un salaire. Le résultat n’est pas important, surtout dans le cas du salaire. Le salaire représente en réalité ce qu’on est prêt-es (collectivement plus qu’individuellement car nous sommes sous la contrainte) à être payés et le travail sans salaire est devenu un non-sens. Le bénévolat n’est pas considéré comme du travail; le travail une mère au foyer peine a être reconnu comme une contribution digne du terme; le militantisme n’est pas vu sous la catégorie travail alors qu’elle est vecteur de changements sociaux. Au Mallouestan nous assumons un travail où l’effort fournit n’est pas abstrait structurellement mais est directement au service de la communauté. Nous sommes aujourd’hui convaincu-es que le travail sous cette forme est essentiel à l’autonomie vis-à-vis du capitalisme.

Avec le travail nous défendons également un autre rapport au confort matériel. Le confort devenu norme est difficilement défendable de part ses externalités [conséquences collatérales] écologiques mais également sociales catastrophique. Il est insoutenable, en tous cas assurément dans notre contexte d’autonomie. Pour toutes ces raisons, l’autonomie au Mallouestan a comme fondation un rapport critique au confort matériel. Nous utilisons une dichotomie entre nos besoins et les stratégies pour y répondre. Plutôt que de questionner ou limiter nos besoins nous cherchons au contraire à les explorer et de trouver le temps d’expérimenter. Nous voulons, par contre, questionner de façon acharnée nos stratégies pour répondre a ces besoins.

Un texte à était écrit détaillant notre pensée et démarche autour du confort matériel.

Ces stratégies ont besoins de connaissances et de compétences. L’autonomie passe donc par inventer, apprendre, trouver et réapprendre. Nous cherchons donc sur le lieu à s’émanciper du capitalisme par une maitrise de la technique. Construire des maisons, faire son matériel d’art, ses instruments, faire pousser ses fruits et légumes, cueillir des plantes sauvages, prendre soin de son corps et de sa psychée sont des essentiels à notre vision de l’autonomie. Nous voulons donc créer un lieu d’échange et de transmission avec des objectifs, similaire à Reprises des Savoirs8, valorisant les compétences et savoirs émancipateurs. Nous cherchons, de fait, a créer un lieu où la place et le temps existe pour cette émancipation technique.

Ces techniques s’appuient, se construisent autour et s’adaptent aux outils que nous utilisons. Nous souhaitons être le plus autonomes sur ces outils (encore une fois, autonomes du capitalisme, de la culture dominante et non de tout autre lieu et collectif). Cela passe par la technique, que ce soit leur entretien, leur fabrication ou leur bonne utilisation mais aussi par reconnaître et choisir les bons outils en tant que tels. Nous voulons donc sur le lieu démocratiser la faulx, la hache, la houe, les ustensiles en bois, les fours ou poeles de masse en terre paille.

Nous ne souhaitons pas que ces techniques, ces échanges et explorations soit limités au lieu au même titre que la solidarité dans laquelle nous cherchons a nous inscrire. Au contraire, nous voulons créer des réseaux de partage. Des réseaux locaux (pour des raisons logistiques) mais également des lieux et collectifs plus lointains avec qui des échanges seraient plus ponctuels. Ce réseau doit être construit diligemment [avec soin, avec attention] pour s’inscrire dans notre vision de l’autonomie.

L’autonomie culturelle, logistique et intellectuelle nous semble, malgré l’importance que nous lui accordons, parfois périlleuse et difficile, ainsi nous pensons qu’une culture critique est nécessaire. Cette culture encourage les critiques et les questions à notre égard mais aussi une analyse parfois critique d’autres projets pour s’inspirer constructivement de l’extérieur. Enfin cette culture doit surtout ancrer une autocritique régulière. Toutes ces formes de critiques ont comme seuls objectif d’avancer collectivement et de questionner notre rapport a l’autonomie. Cette culture n’a aucune vocation a être moralisatrice ou encourager une hostilité horizontale.

Pour résumer cette partie, le collectif travaille sur l’autonomie notamment au travers des axes suivants:

  1. Une scission avec la culture dominante
  2. Une réappropriation de la notion de travail
  3. Une posture critique sur le confort (besoins vs stratégie)
  4. Une réappropriation de la technique
  5. Une autonomie sur l’outillage
  6. Un développement d’un réseau local et lointain
  7. Une culture de l’autocritique et de la critique.

Et concrètement sur le lieu ?

Le lieu travaille sur ces objectifs qui pour certains n’ont pas changé depuis deux ans et continuera à le faire tant que le collectif le juge pertinent. Sur le lieu nous avons commencé par attaquer le problème de solidarité avec l’accueil de plus de 70 non humain-es depuis la création du lieu et l’accueil actuel d’une trentaine (compris dans les 70). Le sanctuaire que le lieu a fourni à ces individus a depuis la création du lieu été la priorité du collectif. Ce sanctuaire ne pourrait exister sans d’autres aspects de notre autonomie. Ces aspects permettent notamment qu’un grand nombre de personnes sur le lieu ne soient pas soumises à un travail salariat qui limiterai considérablement le temps consacré à tous-tes ces individu-es.

Sans l’autonomie l’accueil de visiteuse-eurs 24h/24 et 7jours/7 au sanctuaire serait tout aussi impossible, tout au moins sans se compromettre et faire payer nos visiteuse-eurs leur séjour. Nous proposons plutôt un prix libre permettant de ne pas discriminer économiquement. Dans ce même contexte nous avons acceuilli en hébergement d’urgence des réfuiers, des personnes qui avait nulle part où aller, des étudiant-es souffrants du contexte social pendant le COVID, et diverses personnes ayant besoins d’une pause pour s’éclaircir l’esprit ou se remettre sur pied. Tout cet accueil a été grandement facilité et souvent rendu possible par notre modèle d’autonomie.

Pour revenir sur toutes ces formes d’accueil, le lieu est l’un des rares sanctuaire d’Europe qui ne dépend pas des dons exterieurs ni de subventions. En cas d’inflation, de changements politiques ou de crises, l’autonomie actuelle permet une plus grande résilience. Plus nous avancerons sur les objectifs cités plus haut, plus cette résilience sera importante.

Le lieu ne dépend plus d’énergie fossile a l’exception d’un véhicule permettant le transport des animaux non-humain-es mais surtout des tonnes de fruit et légumes nécessaire à leurs présence sur le lieu. Les humain-es du lieu sont autonomes a cet égard. L’autonomie des humain-es sur le lieu permet de privilégier les intérêts des non humain-es notamment au travers des économies d’argent. Au dela d’une facture de carburant réduite, il n’y a plus de facture d’électricité a payer, bientôt plus de facture d’eau, le prix des courses humaines baisse au fur et à mesure, la mutualisation d’appareils reduit les dépenses individuelles et l’autonomie sur la fabrication d’outils (machine à laver, bruleurs, poêle à bois …) a divisé par 20 les coûts liés à ce domaine. Tout ceci au bénéfice des individus qu’on accueille sur le lieu.

Notre gouvernance, nos compétences sociales, nos compétences techniques, nos compétences de soins et notre approche se raffinent depuis quelques années. Nous commençons à peine à avoir du recul. Mais nous avançons et avons considérablement avancé. Ce chemin devient de plus en plus pertinent à partager, à mettre en perspective et a soumettre au jugement extérieur. Ces progrès sont pour nous une de nos plus grosse réussite collective et nous positionne singulièrement dans la solidarité que nous envisageons.

Il nous semble donc que cette autonomie bénéficie aux individus membres du collectif, les animaux non humain-ess malheureusement domestiqué-es que nous accueillons, les animaux sauvages nous entourant, les individu-es humain-es que nous accueillons et le réseau d’entraide qui se forme doucement. De part les progrès et les bénéfices observés nous sommes convaincu-es que la suite en amènera d’autres. Nous nous acharnons donc dans ce sens. Vers une solidarité accrue, des compromis réduits et une liberté collective retrouvée9.

Réferences

Ces références ne représente en aucun cas la validation de notre parts de collectifs ou d’autrice-eurs mais sont des sources d’information étayant ce texte qui n’as pas un objectif académique.

  1. Noam Chomsky, La fabrique du consentement
  2. Theodore Kaczynski, La société industrielle et son avenir
  3. Anti Tech résistence, site web, Page d’accueil https://antitechresistance.org/
  4. Le capital de la séduction, Michel Clouscard
  5. Discours “Au-delà de la croissance” au parlement Européen de Aurélien Barrau
  6. La part sauvage du monde, Virginie Maris
  7. Gene Sharp, De la dictature à la démocratie
  8. Reprises des Savoirs
  9. Aurélien Berlan, Terres et libertés