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Le monde non-humain

Texte sur l’éthique environnementale du Mallouestan

Pourquoi écrire ce texte ?

En raison de la nature du lieu, notamment l’accueil de visites tout au long de l’année, il est important d’expliquer de manière claire et structurée certaines de nos positions. Ce texte a pour but d’expliquer le rapport que le Mallouestan entretient — ou cherche à entretenir — avec l’environnement, le territoire, la nature sauvage, ainsi que les êtres humains et non-humains qui nous entourent.

Cette vision guide notre quotidien et influence notre approche sur plusieurs aspects : les constructions, l’aménagement du lieu, notre relation au confort, ainsi que la place et la considération que nous accordons aux autres êtres vivants qui cohabitent avec nous sur ce territoire.

Il s’agit donc d’un des piliers fondamentaux à comprendre pour toute personne souhaitant saisir l’essence du lieu et sa philosophie. Ce texte vise à partager notre vision et à la rendre plus accessible.

Pourquoi parler ou questionner l’éthique environnementale ?

Pour nous, il est évident que le rapport au monde hégémonique, adopté par la majorité, n’est ni viable ni souhaitable. En d’autres termes, la vision du monde dominante en Occident est destructrice, marquée par une violence extrême, écocide, meurtrière et égoïste. D’autres adjectifs pourraient y être associés, comme néocolonial, spéciste pour certains, ou anthropocentriste pour d’autres. Le Mallouestan a été fondé autour de l’idée, ou plutôt de la quête, d’un rapport au monde plus sain. Ce rapport ne concerne pas uniquement les personnes qui constituent ce lieu, mais dépasse également sa géographie, offrant un cadre pour un meilleur lien avec le vivant à ceux qui croisent nos idées.

La raison pour laquelle, au Mallouestan, nous questionnons notre rapport au vivant n’est pas simplement un exercice académique ou intellectuel. Il ne s’agit pas de conforter une quelconque supériorité morale ou éthique. C’est plutôt une tentative de construire une communauté avec un rapport au monde plus souhaitable. En d’autres termes, loin de se limiter à ce texte ou à d’éventuelles conférences, discours ou interventions, cette vision du monde a pour ambition d’être appliquée et respectée autant que possible dans le cadre même du Mallouestan.

Quel est le rapport au monde souhaité au Mallouestan ?

Pour de nombreuses personnes au Mallouestan, le cheminement n’a pas été simple. Il ne s’agit pas de verser dans le misérabilisme, mais plutôt de souligner la complexité de cette quête évoquée plus haut. Nous sommes bien loin de l’époque où nous pensions que l’antispécisme et l’écologie (écologie dans le sens politique et d’écologisme, et non l’écologie scientifique) suffiraient à définir notre rapport au vivant. Très rapidement, nous avons été confrontés aux limites de l’antispécisme et aux ambiguïtés de l’écologie.

Nous nous sommes très tôt opposés à l’écologie des « petits gestes », à celle de la transition énergétique, ainsi qu’à une écologie coloniale ou libérale. Nous avons regretté l’absence d’une analyse sociale dans certains courants d’écologie profonde et avons été inspirer mais pas totalement convaincu par la « dark écologie ». Il est rapidement devenu clair que le terme « écologie », en tant que tel, ne résolvait que très peu de choses pour nous. Il y a plusieurs années, nous avons adopté une approche écocentriste1, en la couplant une des valeurs fondatrices du lieu: l’antispécisme. Bien que cette position ne soit plus celle que nous tenons aujourd’hui, l’héritage qu’elle a laissé continue de structurer le lieu.

Notre position actuelle peut donc se résumer ainsi : nous souhaitons un rapport au monde qui dépende2 le moins possible de la destruction, de la souffrance et de la mort. Autrement dit, nous voulons vivre de manière à impacter le moins possible les intérêts et les équilibres écosystémiques qui nous entourent. Il est important de préciser qu’il s’agit ici de l’impact du mode de vie humain et de ses activités. Dans notre vision, une certaine souveraineté est accordée au monde non humain. Il n’est pas question d’intervenir ou de pratiquer une ingérence à grande échelle sur les mécanismes, les équilibres et les chaînes trophiques non humaines.

Nous sommes opposés à la domestication sous toutes ses formes : à la domestication animale, donc à l’élevage, à la collaboration avec les animaux et, plus généralement, à leur exploitation. Nous nous opposons également à la chasse et à la pêche intensive, ainsi qu’à toute forme de chasse ou de pêche non nécessaire. De même, nous refusons la domestication végétale, l’agriculture intensive et la paysannerie, ainsi que toute forme d’asservissement du vivant en général.

La domestication peut, certes de façon plus métaphorique, s’appliquer à l’espace et au temps. Quel est notre impact, à quelle échelle et sur quelle durée ? Il est évident que nous ne pouvons vivre sans impacter notre environnement local, et ce n’est donc pas un objectif que nous défendons. Notre réflexion s’inscrit dans une vision écocentriste où l’impact de notre mode de vie ou d’une action est évalué pour en déterminer la dimension éthique. Autrement dit, c’est l’ampleur de l’impact qui détermine sa légitimité. Couper un arbre est d’une toute autre échelle que de raser une forêt entière. L’abattage d’un arbre est un événement comparable à la chute d’un arbre lors d’une tempête. Les écosystèmes, ayant évolué avec des événements de cette échelle, possèdent des mécanismes de résilience adaptés, ce qui n’est pas le cas lorsqu’une forêt est rasée par un bulldozer. Dans la vision écocentriste, ce concept est décrit par l’expression ‘échelle normale’.3

Ce concept est central à la réflexion du lieu et à son approche éthique. Comme précisé ci-dessus, il est impossible de vivre sans générer de la souffrance, de la destruction et de la mort. C’est grâce à l’échelle “normale” que nous pouvons cadrer éthiquement l’ampleur de nos actions. Cette échelle est complexe, surtout dans un monde où les changements climatiques et environnementaux sont trop rapides pour une majorité d’écosystèmes. De manière précise, donc, notre approche est cadrée : nous souhaitons un mode de vie reposant le moins possible sur la destruction, la mort et la souffrance, et qui maintienne les impacts inévitables à une échelle (normale) compatible avec les mécanismes de résilience biologique et évolutive des écosystèmes.

Actuellement sur le lieu

L’idéal présenté ci-dessus se heurte malheureusement à la réalité et aux conditions matérielles dans lesquelles nous évoluons. Prenons l’exemple de notre opposition à la paysannerie. Il est important de préciser ici que nous parlons de l’idéologie ou des méthodes paysannes, et non des personnes qui s’identifient comme paysannes ou de toute personne classée dans cette catégorie.

La réalité est que nous vivons dans un contexte dégradé, où la biodiversité est bien plus appauvrie que ce que nous souhaiterions. De ce fait, bien que notre idéal soit opposé à la paysannerie, nous acceptons qu’il est actuellement impossible de nous en passer totalement. Comment cela se manifeste-t-il au Mallouestan ?

Nous pratiquons du maraîchage, mais sans mécanisation ni intrants d’origine animale. Ce maraîchage incorpore de nombreuses pratiques qui pourraient légitimement être considérées comme paysannes. Nous y avons recours car nous ne voyons aucune alternative viable qui nous permettrait de nous en passer totalement pour le moment. Toutefois, nous ne souhaitons pas nous reposer sur cette approche, car elle ne correspond pas à notre idéal.

Ainsi, nous développons en parallèle, de manière prioritaire, des compétences qui nous permettent de réduire progressivement notre dépendance à cette forme de maraîchage paysan. La cueillette de plantes sauvages, ainsi que toute autre forme de subsistance qui n’implique aucune domestication volontaire, est activement explorée sur le lieu.

Nous avons adopté une approche générale antitechnologique. Ce positionnement découle de notre prérogative de minimiser notre impact et de vivre en impliquant le moins de morts, de destruction et de souffrance possibles. Un texte a été rédigé pour expliquer en détail notre position antitech, car elle soulève, à juste titre, de nombreuses questions. Cependant, cette position découle fondamentalement de notre éthique environnementale. Nous mettons en pratique sur le lieu un mode de vie qui cherche à s’abstraire au maximum des technologies modernes.

Sur le lieu, nous poursuivons un objectif d’autonomie et de résilience. Cet objectif a également été expliqué dans un autre texte que nous avons partagé publiquement, comme celui-ci. Cette autonomie nous permet de nous affranchir, du moins partiellement, d’un système totalement incompatible avec les prérogatives de notre éthique environnementale. Elle renforce aussi notre résilience, garantissant ainsi la pérennité de nos objectifs de solidarité envers le vivant, les membres de notre collectif, ainsi que d’autres humains en dehors de notre collectif. Grâce à cette solidarité, nous visons à réduire la souffrance, la mort et la destruction qui nous entourent.

Nous avons également remis en question de nombreuses idées systémiques et axiologiques très répandues, comme expliqué dans le texte sur notre rapport au confort.

Pour conclure

Ce texte présente, de manière non exhaustive, les fondements de l’éthique environnementale du Mallouestan. Il permet de définir la vision du lieu sans recourir aux termes d’antispécisme ou d’écologie. Ainsi, il décrit le Mallouestan comme étant opposé à un mode de vie centré sur l’humain, autrement dit anthropocentriste. Le texte présente le lieu comme recherchant un mode de vie qui repose2 le moins possible sur la destruction, la souffrance, et la mise à mort des non-humains, de la nature sauvage, et des humains.

Il montre également que le lieu s’oppose à la domestication et se positionne en faveur de la libération animale. Le Mallouestan est donc présenté comme un lieu singulier, antitech, écocentriste et partisan de la libération totale.

Notes

  1. L’écocentrisme est une approche où la valeur morale intrinsèque est accordée aux écosystèmes et non : au “vivant” dans le cas du biocentrisme ; aux animaux (souvent sentients) dans le cas de l’antispécisme ; uniquement aux humains dans le cas de l’humanisme. Accorder une valeur intrinsèque à une communauté biotique ne nie en rien l’individualité de ses composants. Un renard est bien un individu qui évolue dans un écosystème avec des caractéristiques et des intérêts personnels. Ces derniers sont diffèrent des intérêts des autres individus de l’écosystème (y compris des autres renards). Ancrer la valeur morale au niveau écosystémique permet de s’assurer que les intérêts du renard ne priment pas pour autant sur les autres composants.
  2. Il est vrai que la mort, la destruction et la souffrance existent dans la nature. Ce serait malhonnête et dangereux d’idéaliser la nature sauvage. Nos modes de vie, quels qu’ils soient, reposent sur la nature sauvage et donc, indirectement, sur la souffrance, la mort et la destruction. La notion d’échelle est donc essentielle. Nos actions engendrent-elles une chaîne causale sortant d’une échelle normale (une échelle comparable aux événements déjà existants dans l’écosystème) ? L’évaluation est complexe et probablement condamnée à être naïve [inexacte, incomplète]. Mais elle peut être suffisante pour cadrer nos actions3.
  3. Cette évaluation nécessite une connaissance de cet environnement, de ces écosystèmes. Comprendre les individus qui les habitent, souvent à nos côtés. Comprendre comment elles et ils habitent ces espaces. Quels éléments leur sont essentiels, importants ou accessoires. Comprendre les interactions entre les individus, leurs espaces de rencontre, la nature de leurs échanges, la politique et la vie sociale non humaines qui se jouent en parallèle de la nôtre.

Références

  • James Scott, Homo Domesticus
  • J. Baird Callicott, L’éthique de la terre
  • V. Maris, La part sauvage du monde
  • Val Plumwood, La crise écologique de la raison
  • Roderick Nash, The rights of nature