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La consomation et la liberté individuelle

Pourquoi écrire ce texte ?

Comme pour de nombreux autres textes que nous avons rédigés, la raison principale est de rendre accessibles et d’expliquer différentes positions et motivations derrière des choix structurant la vie sur le lieu. Nous avons tenté d’aborder des sujets fondamentaux, qui souvent sont aussi des points mal compris ou plus rarement des sources de tensions et de grands désaccords. C’est notamment le cas du sujet de ce texte, où de nombreuses personnes ont questionné certaines interdictions et contraintes que nous avons fixées sur le lieu et lors des événements organisés par le collectif. Ce texte cherche donc à expliquer pourquoi ces valeurs et ces règles ont leur place au sein d’un lieu et un collectif qui se considèrent anarcho-communiste.

Pourquoi limiter la liberté individuelle ?

Sur le lieu, nous partageons une vision de l’anarchisme qui ne se centre pas sur les intérêts et la liberté individuelle. Autrement dit, nous nous opposons à ce que nous appelons parfois un anarchisme « libéral ». Effectivement, nous considérons que les individus sont construits et façonnés par des conditions matérielles diverses, qu’elles soient sociales, environnementales ou biologiques. Nous n’envisageons donc pas un libre arbitre exempt de ces influences. De fait, nous pensons que de nombreux comportements, voire la majorité, résultent de divers cadres structurels et systémiques. Il nous paraît ainsi, difficile, voire impossible, de changer certains comportements ou d’en prendre suffisamment de recul à une échelle strictement individuelle.

L’outil le plus efficace pour lutter contre ces comportements systémiques et structurels est, selon nous, un autre système structurel. Le collectif et nos règles de vie commune deviennent alors des leviers appropriés pour amorcer et faciliter des changements. Une déconstruction collective est donc permis impliquant de fait, une déconstruction personnelle. L’alternative, de placer la responsabilité sur l’individu, nous semble non seulement inefficace mais aussi problématique à plusieurs égards. Considérer qu’un individu est responsable de manger ou non tel aliment, de consommer ou non tel produit, ou de se comporter d’une certaine manière, indépendamment des conditions matérielles qui le façonnent, nous paraît bien dangereux.

Pourtant, cette idée revient souvent : l’idée qu’à force de discipline personnelle, chacun pourrait parvenir à se déconstruire; et si certains ou certaines n’y parviennent pas, ce serait justement par manque d’effort ou de discipline. Ces conceptions se retrouvent dans les milieux végans, écologistes, féministes, bien sûr, mais elles sont en réalité largement répandues. Nous les rejetons fermement au Mallouestan, car elles sont classistes, capacitistes et racistes. Qu’il s’agisse de troubles du comportement alimentaire, d’addiction, de consommation, de comportements oppressifs, d’habitudes, de “craquages” ou de “petits plaisirs” ces problématiques ne peuvent être réduites à la responsabilité individuelle ni considérées sans tenir compte des réalités matérielles évoquées plus haut (sociales, environnementales, etc.).

Il est aussi important de noter que pour nous les externalités [les effets qui ne sont pas limité au sujet, ici le comportement] de ces comportements, de manière plus générale, priment sur le confort de l’individu qui en dépend. Nous considérons que trop souvent, des comportements sont tolérés ou autorisés pour le bien-être de l’individu, malgré des externalités injustifiables. Par exemple, le numérique implique de nombreuses externalités dévastatrices écologiquement mais aussi socialement. Le fait que chaqu’un-e ait un smartphone, en plus d’un ordinateur ou une tablette n’est simplement pas justifiable de notre point de vue. La mutualisation de ces appareils peuvent se faire simplement sans risques de sécurité. Il suffit de s’organiser et d’accepter le fait que nous ne pouvons pas avoir accès sans contraintes à ces outils. Nous ne prétendons pas que tous les comportements devraient être restreints dans tous les lieu similaire ou non au notre, mais nous souhaitons voir plus d’espaces où ces comportements problématiques, structurels et sociétaux sont abordés d’une manière radicale et non libérale.

Une autre raison de cadrer et de limiter cette liberté individuelle est de faciliter les objectifs du collectif. En effet, nous sommes un collectif qui cherche à s’abstraire de la culture dominante et des acteurs qui la perpétuent. De nombreuses interdictions et règles de vie commune visent ainsi à maximiser notre indépendance vis-à-vis de ces influences. Nous réduisons autant que possible notre dépendance envers ceux que nous considérons comme nos adversaires politiques, et nous nous efforçons de créer un cadre qui encourage la recherche d’alternatives. Au quotidien, au Mallouestan, nous renonçons aux solutions toutes faites, souvent malsaines ou destructrices, proposées par ces acteurs dominants. Chaque jour, nous travaillons à bâtir et à expérimenter des alternatives (voir les textes sur l’autonomie et nos projets).

Concrètement, sur le lieu

Tout d’abord, il est important de préciser ce que ces restrictions, ces contraintes, et ces règles ne sont pas. Elles ne représentent pas un jugement envers les personnes qui ne pourraient pas les respecter. Elles ne visent pas non plus à nier ou ignorer certains problèmes et tabous sociétaux. Sur le lieu, ces sujets sont régulièrement abordés et discutés. Certaines de ces contraintes ont été décidées et votées par les personnes qui habitent le lieu et qui parfois sont concernées directement. Il ne s’agit donc pas de jugements externes visant les individus ayant de tels comportements.

Nous reconnaissons que des facteurs sociaux, environnementaux et biologiques peuvent empêcher certaines personnes de venir sur le lieu si elles ne peuvent pas respecter les limites que nous avons choisies pour encadrer notre vie commune. Cela ne signifie pas que nous les excluons de notre solidarité ni que nous refusons de les aider. Simplement, nous ne voulons pas de ces comportements sur notre lieu de vie et au sein du collectif. De nombreux espaces existent où ces comportements sont possibles. Effectivement, il faut aussi des lieux sûrs pour celles et ceux qui cherchent à s’abstraire de certaines habitudes ou passer du temps dans des collectifs sans y être confrontés.

Le lieu a, par exemple, permis et permet encore à des personnes ayant récemment arrêté de fumer de bénéficier d’un espace où la tentation est moindre. Des personnes avec des addictions aux écrans et au numérique peuvent également profiter d’un lieu où elles ne sont pas exposées à ces comportements et où il est difficile de les entretenir. Ce ne sont que quelques exemples mais elles illustrent suffisament cet objectif.

Effectivement, nous avons interdit sur le lieu la consommation de produits ultra-transformés1, de produits addictifs incluant drogues, alcool et nicotine. Nous avons également proscrit l’état d’ébriété ou d’influence sous ces substances, ainsi qu’un certain nombre de comportements oppressifs, qui ne sont donc pas tolérés sur le lieu. Pour autant, nous reconnaissons que cesser ces habitudes du jour au lendemain ou même à terme est une démarche très difficile et que chacun a droit à l’erreur. Les non-respects de ces règles sont ainsi avant tout des occasions de discussions et d’aménagement, bien avant que toute sanction soit envisagée.

Ces sanctions, lorsqu’elles sont nécessaires, visent uniquement à protéger le collectif et ses membres ; elles n’ont aucun caractère punitif. Les personnes n’ayant pas respecté ces règles pour les raisons mentionnées plus haut ne doivent pas être stigmatisées ni antagonisées. Autrement dit, une personne à qui ont à demandé, par exemple, de quitter le lieu suite à des comportement dangereux pour le collectif ne doit pas être jugé, discriminé ou dévaloriser suite à cette sanction.

Comment ces règles sont elle décidées ?

Comme toutes les autres règles structurant la vie commune au Mallouestan, un vote unanime est nécessaire pour les modifier. Les règles concernant la consommation ou les comportements sont discutées en réunion, puis votées collectivement à l’unanimité. Celles actuellement en vigueur sur le lieu résultent donc d’une volonté collective. Toute personne venant au Mallouestan a l’opportunité de proposer et de défendre un changement à ces règles, et certaines des règles actuelles ont d’ailleurs été adoptées collectivement suite à des suggestions extérieures.

En conclusion

Les règles en vigueur au Mallouestan, bien que parfois perçues comme des “restrictions”, répondent à des objectifs collectifs visant à encourager un mode de vie alternatif et à favoriser un espace libéré des logiques dominantes. Dans un monde où l’individualisme et les pratiques de consommation effrénées sont souvent la norme, ce cadre collectif permet de mettre en place un cadre qui privilégie les dynamiques collectives, tout en respectant et en reconnaissant la complexité des parcours individuels. Effectivement, les règles instaurées ne cherchent ni à moraliser ni à isoler, mais bien à offrir un environnement propice à l’expérimentation, à la solidarité et à l’autonomie collective.

Ce cadre, discuté et voté à l’unanimité, témoigne d’une vision de l’anarchisme fondée sur l’interdépendance et la responsabilité partagée, en opposition aux conceptions centrées sur l’individu. Au Mallouestan, nous explorons des alternatives concrètes a la culture dominante, en tentant de construire un espace où chacun collectivement peut se défaire des contraintes imposées par des logiques de consommation et des comportements aliénants.

Notes

  1. Nous utilisons l’echelle NOVA sur le lieu pour determiner de façon plus objective (tout au moin à l’échelle du lieu) les produits que nous refusons. Certaines personnes nous ont fait part de leurs doutes sur l’intérèt de cette échelle. Nous souhaitons donc clarifier ici certains points:
    • L’échelle NOVA permet de déterminer quels produits sont ultra-transformés (NOVA 4 : 4 sur l’échelle de NOVA). Certains de ces produits, quoique rares, sont peut-être compatibles avec une alimentation saine. Mais il est encore plus rare de trouver des produits ultra-transformés, sains pour la santé, qui ne sont pas emballés et ne dépendent pas de chaînes logistiques problématiques. Le fait d’interdire les produits NOVA 4 nous permet donc d’éviter les produits ultra-transformés généralement considérés comme malsains, voire toxiques pour la majorité, ainsi que les logiques industrielles qui les accompagnent, notamment en matière d’emballage.
    • Ces produits ne sont pas interdits principalement pour des raisons de santé ou pour encourager des gestes écologiques individuels. Une des raisons principales est que, comme expliqué ci-dessus, ils dépendent de processus complexes et de chaînes logistiques tout autant. Pour un lieu qui cherche à développer une alternative à la culture dominante, interdire ces produits nous oblige à monter en compétence sur place. Cela nous pousse à développer des compétences en matière de conservation, de cuisine de manière plus générale, et nous permet d’explorer ce qui est pertinent, ou non, de cultiver ou de récolter. Cette expérimentation serait profondément appauvrie si elle incluait des produits issus du système industriel.
    • La deuxième raison majeure de cette interdiction concerne un des thèmes abordés dans ce texte : le rapport à la nourriture. De nombreuses personnes, qu’il s’agisse de visiteurs ou d’habitants du lieu, peuvent entretenir un rapport complexe ou non souhaitable avec la nourriture. Cette interdiction permet donc de limiter l’accès aux produits les plus addictifs, réduisant ainsi la tentation et facilitant la déconstruction de ces comportements.